Par Mathieu Vaillancourt, Professionnel de recherche au Projet RARE
Une critique qu’on formule souvent au monde de la recherche, c’est d’être déconnectée de la réalité du «terrain».
Au projet RARE, nous voulons justement nous inspirer des observations réalisées sur le terrain pour développer des approches de végétalisation innovantes.
Dans le cadre des projets de recherche menés jusqu’à maintenant, nous avons eu l’occasion de visiter des bassins de rétention bien végétalisés de la ville de Québec. Bien que certains soient colonisés par les espèces envahissantes, plusieurs en sont exempts et hébergent une flore indigène, typique des milieux humides.
Ces bassins de rétention sont des exemples de végétalisation réussie, alors que cela reste pourtant un défi majeur en restauration, où l’on cherche toujours à végétaliser rapidement des surfaces mises à nu ou reprofilées. Pourquoi certains végétaux s’établissent-ils aussi rapidement à certains sites, sans intervention, alors qu’à d’autres, cela ressemble à une mission impossible? Établir un couvert végétal est important pour stabiliser le sol, réduire les risques d’érosion, mais également pour empêcher l’arrivée d’espèces envahissantes.
Quelles sont ces espèces qui s’installent si facilement, sans trop d’intervention humaine? Car, faut-il le rappeler, ces bassins de rétention ont été colonisés de façon spontanée, et sont donc de parfaits exemples de végétalisation dite passive.
Pour répondre à cette question, nous sommes parti·es à la découverte des espèces en question : joncs, scirpes, carex, etc.
On s’est demandé comment les récolter, les entreposer, les stratifier, et quelles étaient leurs conditions idéales de germination. N’ayant pas trouvé beaucoup d’information dans la littérature scientifique, nous avons enfilé nos bottes et sommes parti·es faire des récoltes à la fin de l’été, au moment où les graines arrivaient à maturité. Une fois au laboratoire, les graines étaient extraites des fruits puis nettoyées.
C’est là que nous avons commencé à expérimenter.
La première expérience portait sur la méthode de stratification. La plupart des espèces récoltées ont besoin d’une période de froid plus ou moins longue pour pouvoir germer, ce qui dans la nature permet aux espèces «d’attendre» le printemps pour se développer, plutôt que de germer à l’automne et se faire surprendre par l’hiver. La technique de stratification permet de reproduire artificiellement ces conditions en laboratoire. On a donc entreposé nos graines dans trois environnements : soit au sec à 15° C, dans le sable humide à 3° C, ou dans le sable humide à -4° C. Une centaine de graines de chaque espèce était mise à germer en chambre de croissance après 0, 30, puis 60 jours d’entreposage, après quoi on comparait leurs taux de germination.
Le principal résultat obtenu, c’est que l’entreposage dans le sable humide à 3° C pour 30 jours a permis à la plupart de nos espèces de maximiser leur taux de germination. On a toutefois trouvé certaines exceptions, certains scirpes par exemple ayant nécessité 60 jours, et certains joncs s’étant mieux stratifiés à -4° C.
Une fois nos espèces stratifiées, nous avons démarré une seconde expérience, cette fois en serre, dans des pots. Nous voulions savoir si le substrat sur lequel nous effectuons le semis avait une influence sur la germination et la croissance lors des premières semaines.
Nous avons ciblé trois substrats : (i) du sol provenant d’un bassin de rétention fraîchement récuré, (ii) du sol de surface provenant d’un marécage arborescent et (iii) un substrat commercial servant notamment à la construction de bassins de rétention (substrat Natureaufiltre).
Le sol de bassin était argileux et avait le pH le plus élevé, à 7,8. Le sol de marécage était le plus léger et avait le pH le plus bas, à 5,7. Le substrat Natureaufiltre avait une densité intermédiaire et un pH neutre, à 7,3.
Les résultats de cette expérience sont très clairs : le sol provenant du bassin de rétention n’était pas optimal. C’est sur ce substrat que nos espèces se sont le moins développé, autant en termes de croissance latérale qu’en termes de hauteur. Les deux autres substrats ont eu une performance bien supérieure, mais pour la plupart des espèces, c’est vraiment la terre provenant du marécage qui a le mieux performé. Explication possible? Pour les substrats ayant le mieux performé, on soupçonne une plus grande disponibilité en nutriments. Pour le sol de bassin, ce serait potentiellement dû à un effet limitant de la compaction et du pH non optimal.
Grâce à cette expérience très concrète, nous avons pu recueillir des informations précieuses pour nos projets à venir. Nous avons même des pistes pour de prochaines questions de recherche. Comment améliorer la croissance sur des substrats plus difficiles? Pourrions-nous tester des traitements de décompaction? Des amendements? À suivre…